Des abeilles sauvages jusqu’au cœur de la ville
Publié par Mauna Kea dans Entomologie le 29/07/2020 à 10:47
Si elles sont très discrètes et beaucoup moins médiatisées que leurs cousines mellifères, les abeilles sauvages représentent un maillon essentiel de nos écosystèmes, et sont même présentes en nombre dans nos villes. Nicolas Vereecken, entomologiste et spécialiste des abeilles, nous en dit plus.
Elles ne constituent pas de grandes colonies et vivent sans faire de vagues dans nos jardins, nos espaces verts, nos campagnes et même nos forêts. On en dénombre 400 espèces en Belgique, près de 2000 en Europe et plus de 20 000 dans le monde. Bienvenue dans le monde secret des abeilles sauvages.
Des insectes hyperspécialisés
"Les abeilles sauvages sont plutôt solitaires. Elles sont parfois sociales et forment alors de petits essaims, mais jamais des colonies aussi grandes et aussi complexes que leur cousine domestique."
Car l’abeille domestique, celle qui vit dans des ruches et produit notre miel, ne représente en réalité qu’une seule espèce: Apis mellifera.
"Apis mellifera est une ultra- généraliste: elle butinera la majorité des fleurs qu’elle croisera au cours de ses pérégrinations. À l’inverse, les quelque 400 espèces d’abeilles sauvages sont souvent très spécialisées. De nombreuses espèces ne récoltent du pollen pour alimenter leur progéniture que sur certaines espèces végétales, les mêmes pendant toute leur vie et de génération en génération.
De plus, elles sont tout aussi spécialisées dans le choix des matériaux qui servent à construire leur nid: seules certaines feuilles, certaines résines, ou certaines tiges creuses trouvent grâce à leurs yeux. Elles dépendent donc vraiment de tout un écosystème, au sein duquel elles sont parfaitement intégrées."
Des abeilles sauvages en ville
Alors que l’urbanisation mène la vie dure aux écosystèmes, la ville de Bruxelles, que Nicolas Vereecken connaît bien, héberge plus de 200 espèces différentes d’abeilles sauvages.
"Certaines villes ont un maillage vert plus poussé. C’est le cas de Bruxelles, qui compte énormément d’espaces verts de qualité. Et je ne parle pas uniquement des parcs: la région bruxelloise abrite 13 ou 14 réserves naturelles, sans compter les espaces verts informels comme les potagers urbains et les friches, qui sont des réservoirs de biodiversité et qui contiennent de nombreuses plantes intéressantes pour les abeilles sauvages."
Mais où peut-on les observer? Pour Nicolas Vereecken, il suffit d’ouvrir les yeux.
"Les abeilles sauvages sont très discrètes, mais vous pouvez facilement trouver une dizaine ou une vingtaine d’espèces dans les jardins. Équipez-vous d’un bon appareil photo et vous pourrez rapidement faire de jolis clichés. L’important, c’est d’être patient et de prendre le temps d’observer."
Vous ne risquez en tout cas pas de vous faire piquer, car les abeilles sauvages sont en effet plutôt pacifiques.
"L’agressivité des abeilles est proportionnelle aux ressources qu’elles veulent protéger. Comme elles n’ont pas de grosses réserves de miel, les abeilles sauvages sont donc nettement moins agressives que les abeilles domestiques.
Du moins sous nos latitudes: les continents africain et indien comptent en effet quelques espèces d’abeilles sauvages qui vivent en grandes colonies, et elles peuvent s’avérer plus agressives qu’Apis mellifera, que des siècles de domestication ont pacifiée.
Côté piqûres, même accidentelles, vous êtes également le plus souvent à l’abri: outre leur caractère pacifique, certaines espèces ont même un aiguillon tellement mou qu’il ne peut pas pénétrer dans notre peau. Qui plus est, chez les abeilles sauvages, les mâles n’ont pas d’aiguillon."
Abeilles domestiques, ennemies de la biodiversité?
Contrairement à une idée très répandue, le fait d’installer des ruches en ville ne contribue pas à la biodiversité, bien au contraire.
"Les ruches sont faites pour une seule espèce d’abeilles, Apis mellifera. Si vous me permettez une image, installer une ruche sur les toits pour sauver la diversité, c’est comme mettre un poulailler dans son jardin pour sauver les oiseaux des campagnes. En fait, c’est encore plus grave, car l’arrivée d’abeilles domestiques va créer une compétition sur les ressources présentes à un endroit. Comme les abeilles sauvages sont souvent très spécialisées, cette compétition a souvent lieu à leur détriment.
Voilà pourquoi je suis sidéré qu’on puisse considérer l’installation de ruches dans les zones Natura 2000, alors que justement ces zones sont dédiées à la conservation de la nature et de la biodiversité, notamment des abeilles sauvages.
Cela dit, si vous voulez vraiment aider les abeilles sauvages, au lieu de mettre une ruche de l’abeille domestique dans votre jardin, installez-y un hôtel pour abeilles. J’explique dans le livre comment en construire un (ndlr : vous pouvez aussi trouver un hôtel pour abeilles déjà monté sur notre site)."
Comment aider les abeilles sauvages?
Si vous voulez faire un pas de plus pour favoriser la biodiversité, vous pouvez aussi agir concrètement dans votre jardin.
"Que vous habitiez en ville ou à la campagne, si vous avez un jardin, vous pouvez aménager un coin plus naturel avec des plantes sauvages de nos régions. Les semis de fleurs des champs qu’on peut trouver dans le commerce sont en effet trop généralistes.
Si vous voulez tenter l’expérience, j’ai dressé une liste de ces plantes dans mon livre (ndlr : Découvrir et protéger les abeilles sauvages, par Nicolas Vereecken). Il faut suffisamment de plantes, avec des périodes de floraison différentes, pour assurer la nourriture des abeilles toute l’année. Certaines plantes horticoles peuvent aussi convenir.
Et bien sûr, il vaut mieux arrêter d’utiliser des pesticides!"
COORDONNEES
Nicolas VEREECKEN
Adresse mail : nicolas.vereecken@ulb.ac.be
Flickr : nico_bees_wasps
Profil LinkedIn : Nicolas Vereecken
Auteur de l'ouvrage " Découvrir et protéger nos abeilles sauvages"
